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Flux
et reflux séculaires
et
amitiés internationales
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On
sait que le pays de Montbéliard s'est mis en 2003 à
l'heure de Saint-Pétersbourg pour s'associer aux festivités
internationales marquant le tricentenaire de la fondation
par Pierre le Grand de la fabuleuse capitale des tsars.
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En
1824, son fils le grand-duc Michel épousa Frédérique-Charlotte,
fille du prince Paul de Wurtemberg, pour devenir la grande-duchesse
Hélène Pavlovna.
Ainsi
s'explique que , dans la foulée de Sophie puis celle
de Frédérique, un mouvement considérable
d'échanges se forgea entre les deux cités, entretenu
par un va-et-vient incessant de dames de compagnie, de caméristes,
de précepteurs, d'aides de camp, et bien sûr,
de courtisans et de serviteurs qu'on appelait, lorsqu'ils
revenaient au pays, les "russiens".
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Un
peu d'histoire
Pourquoi Montbéliard ? parce que des liens très
forts se sont tissés entre la principauté francophone
et la Venise du Nord au siècle des Lumières.
Le
Grand duc Paul Petrovitch, fils de l'illustre Catherine II,
marié à 19 ans, veuf sans enfant à 21 ans,
était venu en 1776 chercher à Montbéliard,
en grandes pompes, pour en faire sa nouvelle épouse,
la princesse Sophie-Dorothée de Wurtemberg-Montbéliard
qui vivait au chateau d'Etupes. Sophie prit en Russie la religion
orthodoxe et le nom de Maria Feodorovna, et devint starine le
1er novembre 1796. Elle donna à la dynastie cinq filles
et quatre garçons, dont les futurs tsars Alexandre 1er
et Nicolas 1er
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Et
Beucler dans tout ça ?
Son père Jules, luthérien de souche montbéliardaise
fut longtemps, dans cette mouvance, professeur à l'Ecole
de Droit et à l'Ecole militaire impériale des
Cadets de Saint-Pétersbourg où le français
était obligatoire. Il épousa la fille du général
Souvorkoff et c'est en Russie que naquit André, le
23 février 1898 par une température de -18 degrés.
Cette
naissance a aussitôt été transcrite à
l'Ambassade de France, et, en même temps, par télégramme,
sur les registres de Bondeval. A 12 ans, André fut
mis avec son frère Serge, dans un train en gare de
Saint- Pétersbourg, avec des étiquettes en trois
langues sur leurs habits. Trois jours après, un "pion"
les attendait à la gare de Belfort, où ils sont
devenus internes du lycée.
A
30 ans, écrivain et journaliste en vue, il s'éprit
d'une jeune fille russe de 20 ans, née à Pétrograd
(la ville avait changé de nom) emigrée avec
sa famille, qui survivait en brodant des coussins pour les
dames du monde.
On
sait qu'il devait l'épouser trois fois, cette belle
Natacha !
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Samovar
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Contrairement
à la famille de Natacha, qui avait tout perdu
dans sa fuite, les parents d'André avaient, avant la
Révolution de 1917, construit leur maison de Bondeval,
où, chaque année, ils raportaient de Russie quelques
souvenirs.
C'est
ceux-là mêmes, du moins ceux qui ont échappé
à l'occupation allemande de la maison en 1940, qui ont
été réunis dans une belle salle de la Bibliothèque
municipale par sa directrice Pascale Eglin pour évoquer
l'ambiance slave qui a baigné l'enfance d'André.
Outre
des objets familiers, samovars, ufs décorés,
livres, disques et peintures, on y a réuni une rare collection
de cartes postales fidélement agrandies datant des premières
annèes du siècle dernier. Le tout agencé
dans une chaleureuse ambiance, concoctée par Pascale
Eglin, son assistante Annie Rousselot et, en stage, Sonia
Pilod.
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Annie Rousselot
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Pascale Eglin
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Sonia
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MONTBÉLIARD
28 JUIN
Une conférence insolite
mais passionnante
Pascale
Eglin, directrice de la Bibliothèque municipale
de Montbéliard et coordinatrice de lensemble
des manifestations régionales consacrées,
en ce mois de juin, à ce festival-rallye
Beucler, a joué la carte de linsolite en
conviant un public de choix à venir échanger
propos, questions et réponses sur le thème
des racines à la fois russes et comtoises, visibles
ou non, dans luvre dAndré Beucler.
En effet : pour lancer ce débat son invité
dhonneur était
un Japonais !!!
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Évidemment,
il ne sagissait ni dun pratiquant du sumo, ni dun
moine zen, encore moins dun cuisinier acrobate déguisé
en samouraï pour servir un souchi. Pascale Eglin ne manque
pas dhumour, mais, quon se rassure, elle a fait
le bon choix. Son hôte était particulièrement
qualifié pour répondre à ses vux :
le professeur émérite Masaki Katayama a
enseigné, et initié, de nombreux étudiants
en lettres françaises à lUniversité
libre de Kwansei Gakuin de Nishinomiya, proche de Kobé.
Il
a aussi été le premier universitaire international
à consacrer une étude importante à la qualité
novatrice de luvre de Beucler, en sattachant
pour ce faire la collaboration étroite dune universitaire
française, Marie Laure Picot, qui fut, avec un groupe
détudiants, línitiatrice en France
dune relecture dAndré Beucler, en publiant
en mars 1994, La Fiancée rebelle et autres chroniques
amoureuses aux Editions Le Passeur, ouvrage aussitôt
salué dans Le Monde par un article magistral de
François Bott, orné dun slogan en
forme de mot de passe : ne manquez pas Beucler, il
a un charme fou ! Le
travail approfondi de M.Katayama et M.L.Picot aboutit en 1994
a une pénétrante étude de très haut
niveau de 140 pages (*). Il était opportun, et cest
tout à lhonneur de Montbéliard quun
public francophone soit amené à saluer les efforts
dun Japonais qui a pris de court lUniversité
française dans ses missions. La postérité
est parfois malicieuse !
Toujours
est-il que cet événement nayons pas
peur des mots réunit, dans un petit podium circulaire
agencé au sein de la Bibliothèque, une cinquantaine
dinterlocuteurs et quelques curieux ayant résisté
à lappel caniculaire des piscines. Un public exigeant
qui nallait pas tarder à poser de nombreuses questions.
Une
seule voix allait sétonner que lon fut
bien souvent hors sujet. Mais personne ne songeait pourtant
à bouder une pareille occasion de senrichir au
sein de cette confrontation orale pluri-culturelle, en forme
de patchwork. En effet Masaki Katayama fut amené à
se raconter et il sy prêta de bon cur, avec
humour et, par instant, avec un émoi transparant, dont
il sexcusa à plusieurs reprises mi-inquiet, mi-rieur.
On
découvrit ainsi quelques détails sur la génération
perdue des jeunes kamikazes à qui lon apprenait
que la vie sarrête à vingt ans, sur les
conditions de travail dans lesquelles quelques étudiants
lucides parvenaient à échapper à ce programme
non sans un goût de culpabilité.
On apprit aussi dans quelles circonstances ils parvenaient
à apprendre le français et on pu mesurer, avec
un étonnement flatté, le goût et le respect
que les Japonais vouent depuis longtemps, à la culture
française. Ainsi quà son agriculture...
précisa malicieusement Katayama, qui, chaque année,
revient en France et raffole de camembert, de petits vins
de pays et, depuis peu, de saucisses et de cancoillotte. Oille
Oua ! Pour
en revenir à Beucler après ces longs détours,
il précisa quil ne lavait malheureusement
jamais rencontré, mais quils avaient correspondu,
et quíil entretenait des relations quasi fraternelles
avec ses deux fils, dailleurs présents dans le
public.
Je
ne me doutais pas, en écrivant en 1989 un petit texte
sur André Beucler et Jean Cocteau, pour mieux faire connaître
au Japon le nom de Beucler, que jallais susciter en France
autant d'interêt
précise Katayama.
Il
évoqua alors le premier traducteur de la littérature
soviétique, notamment de Valentin Kataev, mais
aussi des mémoires de Mme Dostoïewsky (récemment
rééditées par Pierre Belfond), de lhistorien
dIvan le Terrible, du voyageur dont témoignent
ses deux uvres Caucase et Paysages et Villes
russes, qui attendent une réédition.
Le
temps étant compté, il fallut renvoyer les curieux
à la lecture éventuelle de létude
citée précédemment, où le professeur
Katayama expose sa vision de Beucler, quil résume
rapidement ainsi :
"Les héros de Beucler peuvent tous se rattacher
à une famille de tragiques, celle de protagonistes
raciniens, et des types balzaciens, bien sûr, mais surtout
des créatures de Dostoïewsky en même temps
que de celles de Tchekhov. Le ressort de leurs passions est
pareillement inévitable et sans raisons, et le héros
est le lieu géométrique des manifestations dun
hasard fondamental.
Il ny a pas lieu de sen étonner, sachant,
comme vous tous ici, que Beucler né à Saint-Pétersbourg,
était russe par sa mère, comme dailleurs
beaucoup décrivains français de la même
génération, qui ont enrichi la littérature
française moderne : Elsa Triolet, Joseph Kessel,
Emmanuel Bove, Nathalie Sarraute, et jen oublie.
Jajouterai que, en 1925, la littérature française
navait pas encore accoutumé ses lecteurs à
cet exercice, assez typiquement slave, dutiliser le
roman comme une réflexion sur nos rapports au monde.
Inventons au réel une apparence neuve, tel était,
à ma découverte, le secret de Beucler."
En
fin de matinée , les frères
Beucler, sur la sellette, furent invités à raconter,
pour ceux qui ne la connaissait pas encore, la saga slave
dAndré et Natacha, et de leurs trois mariages !
Puis Masaki Katayama fit, de très bonne grâce,
front à un assaut de demandes de dédicaces.
En
comité privé, Annie Rousselot fit visiter
au professeur Katayama le saint des saints
de la Bibliothèque : un sous-sol blindé
où sont conservés des incunables enluminés
et, parmi dautres merveilles bibliophiliques,
une spendide reliure aux armes des ducs de Wurtemberg,
enrichies de tranches illustrées.
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Sous le titre de : André Beucler aux origines
de la modernité narrative : une découverte
romanesque de la phénoménologie ´suivi
du sous titre plus modeste de : prolégoménes
pour des Ètudes approfondies. Ce texte a été
publé par lAssociation André Beucler.
Quelques exemplaires sont encore disponibles, réservés
aux adhérents.
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